1. Causes lointaines
a) La Bretagne n’a jamais volontairement accepté la suppression de son statut d’autonomie par la Révolution : les Cahiers aux Etats généraux en demandant le maintien; les députés bretons à Versailles se déclarent sans mandat pour l’abandonner; le Parlement de Bretagne, gardien de la Constitution bretonne, proteste solennellement contre sa suppression; la Chouannerie est, à ses débuts, un soulèvement national qui tend à le rétablir.

b) La Première République reprend, en l’aggravant, la politique de centralisation monarchique. Les Républicains bretons sont tous “fédéralistes” (Girondins). Ils se révolteront contre la dictature et seront écrasés par elle. L’Empire assoit définitivement la centralisation politique, administrative et intellectuelle entreprise par la République jacobine. Cette politique doit conduire au “nivellement” de la France; à la construction de “la nation” française, “une et indivisible” sur les ruines des nations restées diverses qui subsistaient sous l’ancienne France; à l’avènement d’une “patrie unique” et abstraite par la destruction des patries concrètes; à la “fabrication” d’un “type” de citoyen français, uniforme et interchangeable.
2. Causes plus immédiates
a) Causes économiques. Par comparaison avec les autres pays d’Europe, la décadence économique et la régression sociale de la Bretagne, qui a déjà commencé à la suite de la perte de l’indépendance, va s’aggraver au XIXe siècle à la suite de la perte du statut d’autonomie. Elle est définitivement privée des structures politiques particulières qui lui auraient permis d’assurer son développement, autant que d’organiser sa défense, contre la “colonisation” économique, qui sera la conséquence du développement de l’économie de marché à base capitaliste organisée dans le cadre continental de l’Etat français.
b) Causes politiques. Aucun des gouvernements et régimes français qui se succèdent au pouvoir au XIXe siècle ne se montre disposé à desserrer l’étau de la centralisation politique et administrative, ni à reconnaître la personnalité de la Bretagne.

c) Causes culturelles. Tous ces gouvernements, à mesure que le système d’enseignement se développe et se généralise, vont systématiquement exclure des programmes tout ce qui touche à la langue, à la culture et à l’histoire de la Bretagne. Cette politique s’aggrave au cours du siècle et au début du XXe siècle. Le but avoué de l’Etat central est d’aboutir à la disparition de la langue bretonne et d’“assimiler” ou d’“intégrer” complètement la population bretonne.
Le mouvement breton est donc né du choc de deux conceptions diamétralement opposées:
– Celle de la Bretagne, qui veut conserver sa langue, sauver sa personnalité, rester « distincte » pour rester elle-même.
– Celle de l’Etat français qui juge nécessaire, pour réaliser une France “une et indivisible”, d’assimiler et d’intégrer complètement les Bretons, commode réservoir de main-d’œuvre et de soldats, pour en faire des Français comme les autres administrés et éduqués comme les autres, selon des lois et des principes uniformes élaborés à Paris.
– Cette politique implique la disparition de la personnalité particulière de la Bretagne, son morcellement en cinq départements, la suprématie totale du gouvernement central, l’extinction de la langue bretonne, le drainage des hommes et des richesses vers le centre, siège de tous les pouvoirs.
– Aux Bretons qui défendent leur statut d’autonomie, Mirabeau répond : “Vous êtes Bretons ? Les Français commandent.” (1790).
– Aux Républicains bretons fédéralistes qui défendent leurs libertés locales contre la dictature de la République jacobine, Danton répond : “La Révolution, c’est Paris” (1793).
– Aux Bretons attachés à leur langue, les préfets des Côtes-du-Nord et du Finistère répondent en 1831 : “Il faut absolument détruire le langage breton”; le ministre de l’Instruction publique en 1911 : “Enseigner le bretons serait favoriser le séparatisme en Bretagne.”

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Yann Fouéré