Années 20. La Bretagne sort de la guerre changée. Pendant 4 ans, les Bretons se sont mélangés aux autres Français, ils ont appris le français, ils ont parlé français, et ils le ramènent à la maison. La propagande brittophobe de la IIIe République est alors à son comble. La langue bretonne recule, et jouit d’une très mauvaise image. C’est la langue de la ferme, de la pêche, mais ce n’est pas la langue du progrès.
Pourtant, quelques jeunes patriotes bretons relèvent la tête. Ils publient régulièrement un journal, Breiz Atao, dans lequel ils défendent l’émancipation de la nation bretonne. S’agrège alors à l’équipe du journal un jeune agrégé d’anglais, professeur au lycée à Brest, Roparz Hemon. Ce dernier est un véritablement passionné par la langue bretonne qu’il maîtrise et entend partout autour de lui.

En 1925, avec l’aide d’Olier Mordrel, Roparz Hemon lance la revue Gwalarn avec une idée simple : “engager la littérature bretonne sur la voie que suit depuis longtemps la littérature de maintes petites nations : la Bohême, la Flandre, la Catalogne entre autres.” Il entend s’adresser principalement à un public bretonnant lettré, à une élite, car “le sort de notre littérature, auquel est lié celui de notre langue, et par suite, de notre nationalité, est entre les mains de l’élite. D’elle dépendra le succès de Gwalarn.”

Cette revue publiera dans une langue unifiée, “fermant la porte aux patois (même décorés du nom de dialectes)”. Le premier numéro-manifeste, en français, annonce la couleur : « Premier et dernier manifeste de Gwalarn en langue française« . Une fois lancée, la revue ne publiera plus qu’en langue bretonne. On y trouve des traductions d’auteurs étrangers, des légendes celtiques, des nouvelles, des poèmes, des pièces de théâtre, des articles de philosophie, d’histoire, de dialectologie… Tous les grands noms de la littérature bretonne passeront par Gwalarn, Abeozen, Jakez Riou, Youenn Drezen, Frañsez Vallée, Meven Mordiern, Meavenn, Maodez Glanndour, Zavier Langleiz, Roperzh ar Mason, etc.

En parallèle de cette revue, Gwalarn lancera plusieurs projets :
- Brezoneg ar vugale, collection à l’usage des enfants, distribuée dans les écoles.
- Kannadig Gwalarn, revue populaire dans un breton plus proche de celui parlé dans les campagnes.
- Levraoueg Gwalarn, des brochures consacrés à une seule œuvre.
- Kornog, une revue trimestrielle bilingue des arts de Bretagne.
- Nord-Okcidento, en espéranto, accompagné de traductions en irlandais et en gallois.

L’impact de Gwalarn sur la vie intellectuelle bretonne est considérable. La revue participe à la formation d’une première élite brittophone, qui produit une véritable littérature de haut niveau, destinée à un public savant. La revue, lancée en 1925, cesse de paraître en 1944 à la “Libération”, les Français utilisant tous les prétextes possibles pour décapiter le mouvement breton, alors en plein essor. Hemon, persécuté, fuit en Irlande.
En conclusion, on peut dire que l’influence de Gwalarn fut déterminante et centrale dans la constitution d’une élite bretonne et brittophone éclairée. La revue jettera les bases d’une langue moderne et unifiée, bases sur lesquelles reposent encore aujourd’hui toute la littérature bretonne.

.
Hervé er Maneour