Toute action publique leur étant rendue impossible en Bretagne et en France, les chefs nationalistes vont s’efforcer de faire admettre par l’Allemagne la thèse du séparatisme et de l’indépendance.
La répression policière qui avait commencé en 1938 contre les militants du Parti national breton, s’accroît à partir de la déclaration de guerre. Le 20 octobre 1939, le PNB est officiellement dissous. Plusieurs centaines de perquisitions sont opérées. C. Lainé, qui, à la différence de Mordrel et Debauvais, avait rejoint un corps d’affectation militaire, est condamné à quatre ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Le Centre culturel de Ker Vreiz à Paris est pillé et fermé, de même que l’imprimerie de Rennes où s’éditait Breiz Atao; son stock de livres bretons est saisi et brûlé. Toute forme politique d’action bretonne disparaît.

Réfugiés en Belgique d’abord, en Allemagne ensuite, Mordrel et Debauvais s’efforcent de convaincre les milieux allemands de la nécessité de l’indépendance de la Bretagne en tant qu’Etat séparé, dans l’éventualité d’une défaite de la France. Le 25 octobre 1939, ils publient une déclaration rappelant les droits imprescriptibles de la Bretagne et demandent aux Bretons de se considérer “comme déliés de tout engagement vis-à-vis de la France”. “Nous avons compris, ajoutent-ils, que seule la séparation de la Bretagne et de la France pourra arracher notre peuple à la décomposition et à l’abandon économique.”

Les deux leaders nationalistes publient un modeste bulletin de presse ronéotypé, Ouest-Information, et s’efforcent de le diffuser en Bretagne et dans la presse mondiale. Le 9 mai 1940, ils sont tous deux condamnés à mort par contumace par un tribunal militaire siégeant à Rennes.
Leurs efforts cependant sont battus en brèche par les dirigeants de la politique extérieure de l’Allemagne et ne semblent devoir porter leur fruit qu’à partir du moment où l’attaque allemande à l’Ouest est décidée.
S’ils semblent avoir réussi à convaincre certains milieux de l’armée et du parti nazi, Mordrel et Debauvais se heurtent à l’hostilité du Ministère des Affaires étrangères allemand qui n’a pas perdu tout espoir de paix à l’Ouest. Ils ne sont autorisés à séjourner en Allemagne que sous des noms d’emprunt et sont placés sous la surveillance de la police militaire et de la police d’Etat.
Cette situation change cependant à partir du moment où se déclenche l’attaque à l’Ouest. Goering et les milieux de l’état-major allemand envisageant la création d’un Etat breton dans un plan général de démembrement de la France.

Des camps spéciaux sont créés pour les prisonniers de guerre flamands, alsaciens et bretons. Mordrel et Debauvais, auxquels s’étaient joints des nationalistes bretons qui avaient déserté ou qui avaient été faits prisonniers, sont autorisés à pénétrer dans ces camps. Ils obtiennent la libération d’un certain nombre de prisonniers bretons qui, contrairement cependant à la majorité de leurs camarades, acceptent de les suivre. C. Lainé, de son côté, est libéré de prison par l’avance des troupes allemandes.
Lorsque l’armée allemande atteint Rennes, un poste de général gouverneur militaire de Bretagne est créé, groupant sous son autorité les cinq départements bretons. Les milieux administratifs et politiques de Bretagne, plus encore que la population, s’attendent à la proclamation de l’indépendance de la Bretagne.
La situation va cependant changer du tout au tout avec la conclusion de l’armistice franco-allemand. Ce dernier marque l’échec de la tentative séparatiste.

La conclusion de l’armistice franco-allemand, la création du gouvernement de Vichy, puis l’inauguration de la politique de collaboration franco-allemande, rendent aux autorités françaises la possibilité d’agir à nouveau sur le plan politique : elles n’ont pas de peine à démontrer aux Allemands que la collaboration franco-allemande est incompatible avec tout soutien au séparatisme breton. Les camps de prisonniers bretons et le poste de gouverneur militaire de Bretagne sont supprimés.
Dès leur arrivée en Bretagne, la politique de Mordrel et Debauvais est battue en brèche par les services allemands. Ces derniers refusent de leur laisser prendre les imprimeries de presse qui sont conservées par les anciens journaux, désormais dévoués à la politique de collaboration et au gouvernement de Vichy. Ils refusent aussi de reconnaître toute existence légale et officielle au Conseil national breton créé le 3 juillet 1940, à Pontivy, sous la direction de Mordrel, Debauvais et Guyesse.

Le Conseil national breton proclame le droit de la Bretagne de prendre place dans la nouvelle Europe “non plus comme province domestiquée, mais comme nation libre et honorée”. Un journal hebdomadaire, l’Heure bretonne, est créé pour défendre cette position et la populariser dans l’opinion. Le Parti national breton se reconstitue.
Dans les mois qui suivent, O. Mordrel s’efforce de convaincre les milieux allemands qu’ils font fausse route en misant sur la collaboration avec la France et que celle-ci ne manquera pas de les frapper dans le dos. L’Heure bretonne publie de violentes attaques dans chacun de ses numéros contre le gouvernement de Vichy et la politique de collaboration.

La conjonction des efforts des services des Affaires étrangères allemands et du Gouvernement français de Vichy finit par rendre la position de Mordrel et Debauvais intenable. Menacés d’arrestation par les Allemands, ils sont contraints de démissionner le 2 décembre 1940. Mordrel est exilé en Allemagne pendant six mois. L’un et l’autre seront mis dans l’impossibilité de faire toute politique active pendant le reste de l’occupation. O. Mordrel se bornera à faire paraître quelques numéros de sa revue Stur, à partir de 1942.
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Yann Fouéré