« On n’enterrera pas Breiz Atao » par Olier Mordrel

Le retour de l’emsav au nationalisme aura une conséquence logique : la réhabilitation de Breiz Atao. L’un ne va pas sans l’autre. Existe-t’il un autre moyen de montrer qu’une revendication nationale de l’ampleur de la nôtre n’est pas une invention ou une attitude de circonstance ? Des précédents, des prédécesseurs sont indispensables à tout mouvement qui prétend avoir des racines et du poids. Ce besoin est si fort qu’il est ressenti par ceux-là même qui professent l’ignorance de Breiz Atao, mais font grand cas de toute révolte bretonne du passé à condition qu’elle permette une interprétation à la lumière de la dialectique matérialiste.

Breiz Atao
Un numéro de Breiz Atao

Mais s’ils vont chercher d’aussi lointains ancêtres que les Bonnets Rouges qui défrayèrent la chronique il y a quatre cent ans, c’est qu’il ne leur est guère possible de trouver des prédécesseurs dans leurs propres pères et grands-pères, les Bleus de Bretagne, qui pendant toute la seconde moitié du XIXe siècle et le premier quart du XXe, ont dépensé leur salive à vilipender la Bretagne, et usé leurs énergies à tuer sa langue et à franciser ses mœurs. Car c’est cela la tradition de la gauche “bretonne”, dont la seule idole était la France. Son dernier organe doctrinal, La Pensée Bretonne d’Yves Le Fèvre, s’était donné comme tâche de tuer Breiz Atao dans l’œuf. De l’UDB au PSU en passant par Ar Falz, notre gauche se trouve donc en face d’un dilemme. Ou bien elle doit poser, – ce qui n’est pas crédible – qu’entre les Bonnets Rouges et Mai 68, la Bretagne a été en vacances, ou bien que les manifestations de son réveil depuis un siècle ne sont pas l’œuvre de ceux dont elle continue les tendances philosophiques.

Bonnets Rouges
1675, référence récurrente de l’Emsav

Elles sont l’œuvre de qui alors ? De Karl Marx, dont les uns ont la bouche pleine ? De Bakounine qu’encensent les autres ? Ce sont des noms qui impressionnent encore le public. On peut les lancer et les escrimer, mais sans rien prouver. Et surtout sans montrer les ressorts et le mécanisme de l’extraordinaire mutation morale et politique, qui, entre 1920 et 1930, a fait du train-train régionaliste français de Bretagne, sans écho et sans espoir, un mouvement révolutionnaire qui devait changer l’état d’âme du peuple breton en deux générations. Un fait aussi capital dans notre histoire, le point de charnière qui a vu basculer l’agonie dans la renaissance, ne peut pas s’escamoter. Il faudra bien un jour en prendre son parti et admettre franchement, même avec les réserves d’usage, que tout vient de là. On a enterré Breiz Atao une fois, mais il n’était pas tout à fait mort et il est revenu à la vie. On ne l’enterrera pas une seconde fois.

Les jeunes ne tarderont pas à le revendiquer à haute voix. C’est leur référence, c’est leur authenticité. C’est leur légitimité. Ils prendront eux-mêmes à charge la revalorisation du seul grand souvenir de notre histoire moderne, car sans les résultats psychiques que cette démarche atteindra, aucun sursaut effectif du peuple breton ne pourrait être escompté. La fierté d’un passé d’audace et de courage donne du cœur au ventre à un peuple, non point la honte et un complexe de faute à se faire pardonner.

Après l’écrasement de la révolte de Dublin, en 1916, la foule insultait les prisonniers que les Anglais traînaient dans les rues et leur crachait au visage. Nous avons connu cela en 1944.

Dublin 1916
L’insurrection de 1916 ne fut pas du tout soutenue par la population irlandaise, dans un premier temps …

Vingt ans après, la principale gare de Dublin s’appelait du nom de leur chef, Patrick Pearse. Et, trente ans plus tard, les cendres de Roger Casement, le “traître” qui fit à Berlin en 1915 ce que deux Bretons y firent en 1940, et qui fut pendu à Londres, furent ramenées en grande pompe dans son pays natal par le gouvernement.

Roger Casement
Roger Casement, traître pour les Anglais, héros national pour les Irlandais …

Un peuple ne se prouve pas à lui-même à travers les paroles d’un orateur ou les pages d’un romancier, mais dans l’offre que des braves ou des fous font de leur vie pour le sauver. Ces hommes là sont la justification maîtresse de la revendication bretonne. Sans eux il ne reste que des prétentions qui s’écroulent. Il n’y a plus que des conformistes de nuances diverses, qui par leur navigation au fil de l’eau sale des compromis ne prouvent qu’une chose, que la tranquillité dans la servitude vaut plus cher que le risque pour la liberté.

Ce ne sont pas les Valmy ou les Austerlitz qui font les nations longtemps vaincues par le sort, ce sont leurs défaites et leur martyre. Montségur a fait l’Occitanie et Ponte-Nuovo la Corse, comme Varsovie, que chaque génération a vue en flammes, a fait la Pologne. La Semaine de Pâques a fait l’Irlande, comme Culloden avait fait l’Ecosse. Saint-Aubin-du-Cormier, le camp de Conlie et l’holocauste de 14-18 ont fait la Bretagne. Un jour viendra où l’on comprendra soudain ce qu’a signifié pour elle la répression de 1944.

Olier Mordrel

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