Quel que soit cependant l’Etat breton de demain, il faut songer quelle sera son attitude vis-à-vis de l’Europe et de la France. Il est un peu osé, quand on n’a pas fait choix d’un régime, quand on n’a pas marqué une préférence pour l’un des grands courants qui luttent par le monde pour la prédominance, quand on ignore tout des surprises du lendemain, de lier le principe de l’indépendance bretonne à une formule internationale quelconque. Là encore, le nationalisme breton doit se réserver. Mais il ne doit pas se laisser prendre au dépourvu ; il doit envisager des hypothèses différentes et offrir sa solution dans l’éventualité de la réalisation de chacune d’elles.

Union
Avec une France revenue à une plus honnête administration de la fortune publique ayant renoncé sans arrière pense et à sa politique séculaire d’assimilation vis à vis de nous-mêmes (1), et à son ambition d’hégémonie, si fertile en conflits, vis à vis des autres pays, l’association franco-bretonne présenterait des avantages certains.
Séparation
Avec une France continuant à s’enliser dans la gabegie parlementaire, plus soucieuse d’assurer des avantages aux profiteurs du régime que de résoudre les questions vitales (2), incapable de procéder pour son compte à la réforme de l’Etat et hostile à la réorganisation de l’Europe sur des bases justes et rationnelles, la séparation totale serait nécessaire.
Fédération
Enfin, dans une Europe remaniée et pacifiée par des liens fédéraux, la Bretagne devrait-elle hésiter à entrer dans un système qui ferait disparaître la formule du grand état centralisé ou tendant à la centralisation, ennemi des patries naturelles, et qui assurerait sa sécurité ? (3)

Autant d’hypothèses de devenirs français et européen, autant de perspectives d’avenir pour la Bretagne. Toutefois, si nous envisageons de composer harmonieusement le principe national avec d’autres forces qui lui paraissent antinomiques, c’est parce que la raison et l’intérêt ordonnent parfois des concessions. Nous ne voyons pas nécessairement le bien de la Bretagne dans la revendication systématique et aveugle d’une indépendance souveraine, même si celle-ci devait entraîner pour elle un périlleux isolement militaire ou économique. Mais s’il nous advient de consentir à une limitation de la liberté de la Bretagne, ce sera encore pour son bien que nous le ferons. Il est un principe sur lequel nous ne céderons jamais : celui de notre droit à décider nous-mêmes de notre sort.
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Olier Mordrel
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(1) Même aujourd’hui où la France n’a plus rien à faire pour achever le nivellement de la Bretagne, elle prend encore des mesures d’exception à son égard. C’est ainsi que l’enseignement du provençal est autorisé par décision ministérielle dans les lycées et collèges de Marseille, Aix, Avignon, Pay, Bayonne, et dans les écoles secondaires et normales du Midi, tandis que le breton reste sévèrement interdit en Bretagne.
(2) « …On se souvient du mot cynique de la Du Barry à Louis XV. On peut le redire en l’atténuant dans les termes. La France … s’en va. Elle s’en va, non pas parce qu’on ne se marie pas, ni parce qu’on meurt trop …, elle s’en va, tout simplement parce qu’elle veut s’en aller. Ce n’est pas une nation vidée, physiquement ou moralement … Non, nous sommes en présence de ce spectacle tragique, et peut-être unique dans l’histoire, d’un grand peuple qui s’obstine à se suicider … » (Jean Philippe, Le Parlement et l’Opinion)
« … La France, si elle ne se ressaisit disparaitra bientôt du nombre des nations. Telle est la conviction absolue, telle est l’obsédante pensée qui saisit l’esprit de quiconque consent, ne fut-ce qu’un instant, à réfléchir sur l’avenir de notre pays. Autour de nous, les nations s’en étonnent. Les Français seuls, assistent inconscients au suicide de leur race ; ils semblent même ne pas s’en apercevoir … » (P. Gemahling, La Décroissance de la Natalité)
(3) « … Une grande nation, riche et expansive, développe presque fatalement une idéologie de puissance … Les petits états, eux, sont privés de tout entraînement de ce genre, non pas leur vertu, il est vrai, mais par leur faiblesse. La plupart ne demandent qu’à vivre tranquilles. Ils ne croient pas à la violence parce qu’ils n’en attendent aucun avantage personnel … » (R. de Traz, Revue de Paris, 1-2-24)
« … Une Europe composée en partie de petits Etats, en partie de grands Etats fédéralisés, serait infiniment plus pacifique que la nôtre … » (Pierre Dominique)