« Ancien directeur de Breiz Atao et de Stur, ancien directeur de l’Heure Bretonne (40.000 exemplaires en 1940), ancien chef du Parti National Breton, Olier Mordrel fut condamné à mort par contumace le 7 mai 1940 par le tribunal militaire de la 4e région, siégeant à Rennes, pour atteinte à la sécurité extérieure de l’Etat et à l’intégrité du territoire, maintien ou recrutement d’un groupe dissous, provocations de militaires à la désertion. Quatre mois plus tard, Charles de Gaulle était également condamné à mort par contumace, pour des motifs étrangement ressemblants. La “culpabilité” de ces deux hommes consistait en fait dans le plus intransigeant des patriotismes, à cette différence près que dans leur esprit leurs patries ne correspondaient pas exactement, et que si l’un se faisait “une certaine idée de la France”, l’autre se faisait “une certaine idée de la Bretagne”.

Il a été de bon ton depuis la guerre, dans certains milieux, de voir en Mordrel un “traître” et un “collaborateur”. C’est à la fois une calomnie et une absurdité. Mordrel est le type même du chevalier fidèle, du champion national. Mais il ne voyait pas sa patrie dans celle de Louis XI, de Bonaparte et de Philippe Pétain. Sa patrie, il la trouvait dans celle du légendaire Artus, du roi Nominoë, de la duchesse Anne. On a le droit de penser ce que l’on veut de cette idée de patrie, de la juger (avec risque d’erreur), archaïque, chimérique ou donquichottesque. On n’a pas le droit de manquer de respect à l’homme qui la porte, et qui paie encore d’une 24e année d’exil l’amour incorruptible de la terre natale.
Olier Mordrel n’est pas non plus un ennemi de la France, où il compte “autant d’amis que d’ennemis en Bretagne”, comme il se plaisait à l’écrire dans “Le Monde”, le 28 novembre 68. Il en est au contraire un amoureux déçu, qui fut déchiré de voir son pays incompris et dépersonnalisé par la France des Jacobins. C’est nous, Français, qui devons des excuses, et c’est peut-être bien pour nous faire un peu pardonner que Charles de Gaulle est allé à Quimper promettre une France nouvelle.

L’auteur du texte qu’on va lire est un homme intrépide et sincère, qui a toujours dit, en toutes circonstances, ce qu’il avait à dire, et qui le prouve une fois de plus. Voici par exemple ce qu’il écrivait dans l’Heure bretonne, le 10 novembre 1940 : “Notre force est en nous. Elle n’est ni dans les autres ni dans les circonstances. Ce n’est ni Vichy ni Berlin qui rendront au peuple breton la force de caractère nécessaire pour s’affranchir, se regrouper et se frayer une route. Notre sort se joue dans nos fibres… N’attendons rien que de nous.” Ce prétendu “collaborateur” fut évincé peu après de la direction du PNB par des éléments vichyssois et pro-nazis. Il avait eu auparavant le temps et l’audace de proposer la dissolution du Parti National Breton et sa reconstitution dans la clandestinité, ce qui, on en conviendra, aurait inévitablement conduit les autonomistes à édifier leur propre réseau de résistance à l’occupant. C’est la police allemande qui mit alors un terme à l’activité politique de Mordrel, et celui-ci fut déporté en Allemagne le 22 décembre 1940. Il fut ainsi le premier déporté “français”.

Aujourd’hui, de l’Argentine lointaine où son cœur n’a cessé de battre pour l’Armorique, Olier Mordrel prend la parole et donne son avis sur cette grande réforme qui s’amorce : la régionalisation. À mon sens, pas un homme politique honnête, pas un journaliste digne de ce nom ne peut ignorer ce texte capital d’un homme qui a sa place dans l’Histoire de Bretagne, et, après tout, dans l’Histoire de France. »
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Pierre Lance, la Bretagne réelle, N°272, 1969