Les Bretons sont connus hors de France. – On les admire pour leurs qualités qui font d’eux les premiers soldats de la terre; on les estime pour leur grandeur morale; on les aime pour leur génie intellectuel, pour le charme sans pareil de leur pays et de leur civilisation – Des hommes viennent de l’autre bout du monde pour visiter la Bretagne.
Cependant, toutes ces vertus bretonnes, toutes ces énergies bretonnes, que deviennent-elles, à qui servent-elles ? – Et toutes ces richesses bretonnes, qu’en fait-on ? – On ne pense jamais à se demander cela à l’étranger, on y pense encore moins en Bretagne. Mais ne serait-il pas temps d’y songer ?
Un fait pourtant devrait nous donner à réfléchir. Il est mort à la guerre presque deux fois plus de Bretons, proportionnellement, que de Français. – Et ces Bretons sont morts pourquoi, sinon pour défendre la vie, la langue, la civilisation du peuple français ? – Personne ne dire que leur sacrifice a sauvé la vie, la langue et la civilisation de la Bretagne; – et celles-ci continuent à crever misérablement, au milieu du mépris et de l’indifférence des Français, au milieu des regrets des hommes intelligents du monde entier, au milieu des sourds murmures de colère des vrais Bretons.

Ne serions-nous donc qu’un peuple serf, dont la destinée est de servir les intérêts et l’idéal de tout le monde, sauf les nôtres ? Nous serions en tout cas un peuple de fameux imbéciles, étant donné que nous le ferions volontairement.
Il y a quelque chose d’infiniment douloureux dans ce spectacle d’une race qui se voue elle-même à la déchéance, en abandonnant de gaîté de cœur tout ce qui est à elle pour suivre les voies de l’étranger. N’y a-t-il donc aucun moyen de lui faire comprendre que, si elle le voulait, elle briserait les chaînes et pourrait venir compter au nombre des peuples libres, heureux et fiers.
Oui, les étrangers se font une haute idée de la Bretagne. Mais leur stupeur est grande quand ils la découvrent dans l’état où l’a mise un siècle et demi de domination française. En fait de noble race, ils n’ont plus que devant eux qu’un ramassis d’individus qui leur rient au nez quand ils parlent de leurs ancêtres et qui se délectent dans l’abrutissement et l’avachissement, made in France.
Tenez, je vous propose cette définition de la Bretagne, ma patrie et la vôtre (nous serons logés à la même enseigne). – Terre de recrutement pour mercenaires de dixième ordre : cheminots, terrassiers, ronds-de-cuir, soldats, facteurs, domestiques, pions, etc … Parc public à l’usage des peuples étrangers de France, d’Angleterre et de Patagonie … Territoire de réclusion pour les fonctionnaires dont on ne veut plus en France. Et enfin, pays où il est très mal porté d’être Breton, de parler Breton, de penser en Breton, autrement dit de ne pas aimer les coups de botte dans le derrière, ceci dit au figuré !
Mais cette définition m’écœure, et vous ?
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Olier Mordrel