Ce qu’était l’Etat breton
Le développement économique et social de la Bretagne, alors qu’elle était libre, fut merveilleux, parce qu’elle avait un gouvernement adapté à ses besoins et inspiré des principes d’un libéralisme que les gouvernements modernes sont loin d’égaler.
Pour faire sentir, d’un mot, l’abîme qui séparait l’esprit gouvernemental de la Bretagne libre de celui qui animait la France de l’ancien régime (pourquoi ne pas rajouter aussi : de la France actuelle ?), je rappellerai que l’évolution administrative de la France s’est faite suivant cette formule “Tel est notre plaisir”, alors qu’à celle de la Bretagne présida une conception hardie que Jean V a traduite dans ses actes par cette formule : “Pour le bien présent et à venir de notre peuple”.
Deux races, deux méthodes.
Le Gouvernement & ses organes
LE DUC
Le duc avait, en Bretagne – comme le roi, en France, – l’administration personnelle de ses Etats; mais cette administration était loin d’être absolue comme en France. La monarchie bretonne était constitutionnelle et parlementaire, elle eut cette forme dès le XIe siècle; c’était même une monarchie à tournure démocratique, puisque l’organisation des communautés de ville, et d’une partie de la représentation nationale était basée sur l’élection, à suffrage direct ou indirect suivant le cas. Aucune charte particulière ne réglait les relations entre le souverain et ses sujets : ces relations étaient basées sur une confiance mutuelle, et aussi sur les principes du droit public breton qui proclamait, comme l’a fait la Très Ancienne Coutume, que toute la législation bretonne devait être de raison.

Il pourrait être très instructif de comparer cette forme traditionnelle, toute de raison, du gouvernement breton, avec l’organisation des Etats celtiques d’outre-Manche : on pourrait peut-être y trouver une filiation dans le développement des idées que se faisaient les Celtes du droit public.
Toujours est-il que si les ducs de Bretagne avaient l’administration personnelle de la Nation, cette administration n’était pas libre. Les ducs devaient compter, en effet, sur l’intervention de trois rouages administratifs : certains grands officiers, le Conseil, et les Etats.
LES GRANDS OFFICIERS
Les grands officiers qui assistaient immédiatement le duc étaient au nombre de trois : le Gouverneur général des Finances, ou Trésorier général, le Chancelier, et le Président de Bretagne, ou Juge universel.
Ces trois grands officiers étaient en réalité trois ministres, dont le plus important de tous, celui qui pouvait porter le titre de premier ministre, était le Trésorier général. C’est une particularité que l’on ne retrouve qu’en Angleterre. En Bretagne, en effet, la question économique, c’est-à-dire la question financière, était la base de toute administration, et elle dominait même les questions diplomatiques, elle se confondait avec les principes d’un bon gouvernement; tout le reste devait en découler.
Le Chancelier était à la fois ministre de l’Intérieur et Garde des Sceaux. Il avait, dans son ressort, non seulement l’administration intérieure du pays, mais encore il devait veiller à ce que les actes du duc “ne puissent grever ou porter dommage au duché de Bretagne”. Jean V lui-même avait rédigé cette formule quand il détermina, d’une façon précise, les attributions de ce ministre. C’est lui qui, par l’apposition du sceau ducal, authentifiait les actes du souverain. Ce ministre exerçait donc sur le chef de l’Etat breton une véritable tutelle. Et le duc, quand il tenait à la délivrance de certains actes ou brevets, était obligé de vaincre la résistance du chancelier par des ordres impératifs écrits. Au point de vue administratif, la Chancellerie était le ministère le plus chargé, et le Chancelier était même assisté parfois d’un Vice-Chancelier. Il avait également sous ses ordres le Trésorier et garde des lettres, c’est-à-dire l’archiviste du Duché. Les fonctions de Chancelier et de Gouverneur général des Finances pouvaient être réunies : c’est ainsi que, sous Jean V, Jean de Malestroit exerça en même temps ces deux fonctions.

Le Président de Bretagne ressemblait moins à un ministre de la Justice qu’à un procureur général. C’était à la fois un magistrat et un représentant du peuple. Et au lieu d’être choisi par le duc, comme le Chancelier et le Trésorier, le Président de Bretagne était presque un élu du peuple, puisque la charge était obligatoirement occupée par un membre des Etats, le président de leur Commission judiciaire. Les fonctions du Président de Bretagne avaient encore cette particularité de n’être attribuées que pour un an, car, chaque année, les Etats renouvelaient leurs différentes Commissions, ce qui n’empêchait pas leurs membres d’être rééligibles. Il est donc tout à fait remarquable de constater que les souverains Bretons étaient obligés d’admettre parmi leurs grands officiers ou ministres un représentant direct de la Nation.
Le “Grand et privé Conseil”, qui assistait le Duc, était beaucoup plus étendu qu’un Conseil de Ministres moderne. C’était une sorte de Conseil d’Etat. Le nombre de ses membres était illimité, et ceux-ci n’avaient aucune attribution spéciale à titre personnel. Le Conseil était composé d’abord des trois ministres, des princes du sang, d’évêques et d’abbés, du maréchal et de l’amiral, de grands feudataires, de conseillers nommés par le duc et choisis non seulement parmi les personnages les plus notables de Bretagne, mais encore parmi les étrangers susceptibles d’apporter des conseils utiles à l’administration de la Nation. Ceci est encore une particularité du gouvernement breton de chercher des Conseillers là où se trouvaient des personnes de bonne inspiration. Enfin, faisaient partie du Conseil, les Sénéchaux.
Les Sénéchaux étaient les représentants du duc dans une circonscription territoriale déterminée. Ils avaient toute l’administration par délégation, comme l’on aujourd’hui, en France, les préfets dans les départements; ils étaient même juges d’appel. On peut se rendre compte, dès lors, combien leur participation au Conseil était utile pour éclairer d’abord celui-ci sur les revendications des citoyens, et ensuite, pour donner à la Bretagne une interprétation unique des décisions législatives et administratives. Le grand Conseil avait, dans ses attributions, toutes les questions de politique intérieure et extérieure, il administrait le domaine propre de l’Etat, discutait les grandes ordonnances du souverain avant leur publication, fixait le budget à soumettre aux Etats, et évoquait même certains procès politiques.
LES ETATS
Le troisième rouage du Gouvernement breton était constitué par les Etats.

Les Etats étaient un Parlement (il ne faut pas les confondre avec le Parlement de Bretagne, qui était une cour de justice). C’était une assemblée délibérante qui représentait presque toutes les classes de la nation ; presque toutes, car si le Tiers-Etat y était représenté en la personne des députés des villes, il y avait une partie du Tiers, partie la plus importante, qui ne l’était pas : les paysans.
Les Etats étaient également une assemblée en partie élective. Sous le régime de la Bretagne libre, les Etats comptaient environ 200 membres, soit 56 pour le clergé, 48 pour le Tiers-Etat, et une centaine pour la noblesse.
Les députés du clergé comprenaient les 9 évêques de Bretagne, 9 députés de chacun des 9 chapitres épiscopaux, un député de la Collégiale de Guérande, de fondation royale (Nominoë), et 37 députés des abbayes. Tous ces députés à l’exception des 9 évêques, qui entraient de droit aux Etats, étaient élus par les membres des chapitres et des abbayes et à suffrage direct.
Les 48 députés du Tiers étaient également élus à raison de 2 par chacune des 24 communautés de ville, mais leur élection avait lieu, non pas directement par les citoyens, mais par les membres de l’administration municipale, comme le sont aujourd’hui, en France, les délégués sénatoriaux.
Quant aux députés de la noblesse, leur droit de siéger aux Etats découlait de celui de leur fief : c’est le fief qui était représenté par son seigneur. Donc, pas d’élection. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, c’est-à-dire, sous le règne de l’Union, le nombre de députés de la noblesse s’accrut et arriva à doubler, en raison de la création de nouveaux rouages féodaux, baronnies, marquisats, etc.
Les Etats étaient non seulement une assemblée délibérante dont la compétence s’étendait à toutes les affaires du pays, mais encore le duc ne pouvait pas passer outre à leurs décisions, et même, sous le régime de la Bretagne libre, le duc ne levait aucune taxe sans le consentement de la représentation nationale. De plus, à la fin de chaque session, les Etats remettaient au duc un cahier de doléances qui, la plupart du temps, était pris en considération. Il y avait donc une liaison continuelle entre le gouvernement et le peuple.
De plus, les Etats étaient cour de justice ; une de leurs délégations recevait certains appels des juridictions inférieures, et, comme le Grand Conseil, elle avait pour pouvoir d’évoquer les causes qui intéressaient les Etats à un titre quelconque. Après le mariage de la duchesse Anne avec le roi de France, les Etats furent débordés par les soucis que leur imposait un nouvel ordre de choses ; c’est pourquoi, en 1495, ils abandonnèrent leur pouvoir judiciaire en faveur d’une nouvelle juridiction qui prit le nom de Parlement de Bretagne. Les Etats pratiquaient donc, dès ce moment, le principe des nations modernes sur la séparation des pouvoirs.
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Henri Quilgars, 1929
Reizh-tre eo. Awenet gant-se eo an Dael hiziv-an-deiz evit adkrouiñ dizalc’hiezh politikel Breizh. Un dra a-bouez avat a ra diouer deomp evit gallout mont war-raok aesoc’h.
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