« Les dangers du super-Etat européen », Yann Fouéré (1968)

Il y a plus de 50 ans, Yann Fouéré nous mettait déjà en garde contre le super-Etat européen et le jacobinisme appliqué à l’échelle continentale. Un texte d’actualité.

“La solution est pourtant simple, disent les “extrémistes” de l’Europe. Ce sont les Etats-nations souverains qui font obstacle à la création d’une Europe politique. Il faut par conséquent les dépasser. On ne réalisera l’Europe politique qu’en les supprimant et en créant à leur place un Etat européen où les différences nationales s’estomperont et disparaîtront peu à peu. Les Etats-nations se sont construits par concentration et fusion successives d’Etats et de nations plus petits. L’évolution ne peut que se poursuivre et nous amener au super-Etat, dans lequel il n’y aura plus d’Allemands, de Français ou d’Italiens, mais seulement des Européens. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra réaliser une intégration européenne véritable, exactement comme s’est réalisée au cours des derniers siècles la France qui est, a pu écrire Arthur Conte, “le composé n°1 de l’intégration”. Car, ajoute-t-il, un Catalan est aussi différent qu’un Breton (alors qu’ils sont Français) qu’un Suédois d’un Espagnol.

Union Européenne carte drapeau
L’Europe unie, instrument de puissance ou prison des peuples ?

L’unification sociale et économique de l’Europe est un fait incontestable. Celles-ci doivent être complétées par l’unification politique. L’ère des peuples différents est révolue; celle du peuple européen commence. Ce peuple doit vivre dans un Etat européen. L’aboutissement normal de cette évolution, ajoutent donc les “extrémistes” de l’Europe, est la création d’un super-Parlement européen, élu au suffrage universel par le “peuple européen”. Ce super-Parlement désignerait le gouvernement de l’Etat européen. Ainsi, par la suppression progressive de tout particularisme, l’Europe politique prendra enfin naissance.

La théorie peut séduire. Ses perspectives ne peuvent manquer d’apparaître comme absolument logiques à des esprits façonnés par les méthodes françaises de raisonnement et de pensée. Car il s’agit là de poursuivre sur le plan de l’Europe le système de construction politique dont l’aboutissement a été la création de la France-Etat-nation. Ceux qui la défendent font preuve du même esprit “messianique” qui inspirait les premiers révolutionnaires de 1789 à la recherche non d’une amélioration de l’ordre ancien, mais d’une société complètement nouvelle?

Aussi ne faut-il pas s’étonner de voir beaucoup de Français dits de “gauche”, sincèrement convaincus par ailleurs de la nécessité d’un ordre européen, attirés par cette conception. Nous retrouvons ici, cependant, les pires illusions de la Révolution française dont l’héritage nous a légué pêle-mêle le libéralisme individualiste, qu’une certaine opinion dite de “droite” a recueilli, le marxisme révolutionnaire et collectiviste, dont la “gauche” s’est fait un évangile et le nationalisme unitaire qui reste en France la base politique de l’Etat, le credo de tous les régimes et de tous les gouvernements de droite comme de gauche. Ceux qui, cependant, refusent de choisir dans cet héritage et qui, comme Clémenceau, considèrent la Révolution comme un bloc risquent fort de se tromper. On peut accepter la déclaration des droits de l’homme, base de tout régime libre, qui ne fut en 1789 que l’aboutissement d’une lutte déjà ancienne et déjà mise en formule par les Américains en 1784, sans accepter le fanatisme de la Terreur, le centralisme et la dictature, qu’elle soit ou non du prolétariat, le pouvoir absolu de la majorité et l’assimilation forcée des minorités de langues ou de religion.

C’est cependant cet héritage le plus contestable de la Révolution que les partisans de l’Etat-nation Europe nous demandent, en fait, d’accepter.

Salvador de Madariaga a raison de se “demander avec inquiétude si beaucoup de militants qui croient sincèrement être des fédéralistes ne seraient pas plutôt des centralistes désireux de surcentraliser le pouvoir dans un super-Etat européen”.

La réalité qu’il faut respecter est que les hommes européens vivent au sein de communautés naturelles, politiques, économiques, sociales et culturelles. Construire un super-Etat européen sur les mêmes principes et la même philosophie que ceux qui ont donné naissance aux Etats unitaires actuels serait tout aussi haïssable. Il conduirait tout droit à l’unitarisme européen. Celui-ci n’apporte aucune solution : il sera aussi incohérent et tyrannique que les Etats-nations qu’il s’agit de dépasser. Il multipliera les erreurs de ces derniers à une échelle plus large. Il voudra créer une langue européenne unique, puis voudra en imposer à tous l’usage exclusif. Ou bien encore il sera monopolisé par la communauté ethnique et économique la plus forte qui, tout comme les Etats-nations d’aujourd’hui, se mettra à opprimer les autres.

En compensation, le super-Etat européen nous offrira-t-il enfin la sécurité et la paix ? Fera-t-il avancer la cause de la civilisation et de la culture ? Et améliorera-t-il le sort de l’humanité ? »

La réponse est évidement NON. Ce n’est ni le jacobinisme stato-national, ni le jacobinisme européen qui apportera la sécurité, la paix et la prospérité, mais bien l’union de toutes les nations ethniques de l’Europe au sein d’une même communauté de destin : l’Europe aux cent drapeaux !

2 réflexions sur “« Les dangers du super-Etat européen », Yann Fouéré (1968)

  1. Surtout que l’Union européenne n’a pas d’autres finalités que de promouvoir le libéralisme et la mondialisation de l’économie qui détruisent les peuples : leurs identités (Car le libéralisme économique uniformisme nos façons d’être, de vivre, de penser), leur environnement (mêmes zones commerciales, mêmes habitats nouveaux, bétonisation et urbanisation croissantes, pollutions diverses dues à la volonté de productivité et de profits croissants des grands groupes industriels), leurs liens sociaux (promotion de l’individualisme et de la « réussite » sociale individuelle, arrivées de populations sans volonté de s’intégrer à la culture locale), leurs services publics et leurs protections sociales (qui créent du lien social, le sentiment d’appartenance à un peuple); leurs législations, souverainetés et démocraties locales (Qui peut croire en effet que nos élections locales, nationales et européennes ne sont autre chose que des illusions de démocratie tout comme le Grand débat national d’E. Macron ou sa dernière Convention citoyenne sur le climat? Les règlementations de l’Union européenne sont supérieures à tous votes locaux qui leur seraient contraires : voir en sens le livre de Frédéric Farah -Fake State). Au sein de l’EMSAV, certains comme l’UDB pensent néanmoins que l’Union européenne et son pseudo fédéralisme serviront la cause des peuples européens et notamment du peuple breton: c’est une tromperie. (Dernier exemple : le vote du Parlement européen pour lever l’immunité parlementaire des députés européens catalans indépendantistes…)

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