En parcourant le site de nos amis de Breiz Atao, je redécouvre un très bon texte de Mordrel, publié dans Stur en 1937 (« Entre Nous » (Stur 1937) | Breizatao.com – Actualités). Le texte s’adressait à l’origine aux lecteurs de la revue, mais il peut sans problème parler aux militants bretons du XXIe siècle.
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« Les idées que nous avons mises en circulation dans le mouvement breton depuis que notre doctrine se précise, n’ont pas été sans y causer une certaine perturbation. On ne se fait pas faute de nous en faire grief. Hélas, nous ne parvenons pas à nous désoler de cette agitation des sentiments et de l’esprit, qui s’éveille parmi nous. Toute prise de position nouvelle entraîne nécessairement une modification des rapports humains et elle s’accompagne des heurts que rencontre toujours ce qui est nouveau.
La bagarre dans les cerveaux, en cette année 1937, nous rappelle la bataille dans les cœurs que détermina, entre les années 1922 et 1927, l’affirmation nationale de BREIZ ATAO. Mêmes indignations, mêmes reproches de diviser le mouvement, mêmes critiques de s’inspirer de « l’étranger», même paresse à renouveler une manière de penser qui est devenue une indolente habitude !
Pourtant le programme de nos préoccupations s’est considérablement modifié au cours de ces dernières années et il n’est pas inconcevable que nous abordions des problèmes qui jusque là ne se posaient guère. La question n’est plus de savoir si la Bretagne est ou n’est pas française, si son intérêt est ou n’est pas de se gouverner elle-même. Qui n’est pas encore fixé sur l’un ou l’autre de ces points, fait désormais figure parmi nous de fossile ou d’ignorant. La question est de savoir si la Bretagne est capable de se doter d’une culture originale ou si elle doit se contenter de mettre en breton les conclusions d’une philosophie étrangère.
Certains n’ont pas encore fait face au dilemme. D’autres n’en prendront jamais conscience, parce qu’ils sont inaptes à s’élever au-dessus d’un certains niveau de discernement. Nous ne songeons pas à nous en désoler. Il est normal et même excellent que notre revue ait des adversaires en même temps que des amis. STUR n’est pas fait pour tout le monde. Nous ne demandons rien à ceux qui ne sentent pas, qui ne comprennent pas, sinon de ne pas nous faire l’excessif honneur de nous considérer comme le fait le plus important de l’année !
Dieu merci, le sort de la Bretagne ne se jouera pas autour d’une table de café ou sous les ombrages d’un camping anodin. Il se jouera sur un terrain où les moitiés d’hommes et les petites filles imaginatives rempliront par la force des choses un rôle effacé, quelle que soit leur bonne volonté !

Il serait pourtant bien facile de se mettre d’accord sur le principal. On VEUT ou on ne veut pas que l’action bretonne réussisse ; si on le VEUT, on doit faire le NECESSAIRE, sans ce soucier autrement de ce qui distrait, rapporte ou amuse. Les militants bretons qui font de l’action bretonne quand ça leur plait, si ça leur plait et avec qui leur plait, ne sont pas des convaincus, mais des esthètes. Le nationalisme breton, en ce qui les concerne, a tout à redouter de la concurrence du ping-pong ou de la philatélie.
Quand on VEUT, on fait les sacrifices nécessaires de temps, d’ambition, d’orgueil, de liberté et d’argent. On se prive du plaisir de colporter des calomnies et de celui de plastronner, parce que ces manies usent et divisent un mouvement ; on a en vue, non pas son succès personnel, mais celui de l’œuvre : ON SERT, et avec effacement s’il le faut.
Ici, nous voudrions que chaque ami de notre revue se réfère systématiquement à cette seule préoccupation : CE QUE JE VAIS DIRE OU FAIRE EST-IL UTILE AU MOUVEMENT ?
Tant que notre rassemblement n’agira pas sous le signe de ce commandement exclusif, aucun sentiment, même le plus fort, aucune doctrine érudite ne sauvera la Bretagne.
La Bretagne ne sera sauvée et grandie que par des hommes qui commenceront par être maîtres d’eux-mêmes.«
Olier Mordrel, Stur, 1937