« Il faut, dès à présent, songer où peut nous mener Breiz Atao.
Aucun peuple n’est parvenu à se débarrasser de la domination étrangère sans souffrances et sans morts. La valeur de la foi patriotique d’un homme se mesure à sa volonté de sacrifice. Le mouvement breton a longtemps piétiné parce qu’il n’a jamais eu recours aux actes de courage libérateurs.
La semaine de Pâques 1916 a fait en Irlande la rupture morale nécessaire. Le mouvement breton a trop longtemps reculé devant les ruptures morales nécessaires.
Que vaut donc notre cause ? Où sont nos procès, nos prisons, nos blessures ?
De toutes les leçons dont nous avons besoin en Bretagne, les leçons de courage nous font le plus défaut.
Le premier bonheur pour un peuple c’est la liberté nationale. Elle vaut d’être payée. La peur ne mène à aucune victoire. L’idée de mourir pour la Bretagne doit nous être aussi familière qu’à d’autres l’idée de mourir pour la France, l’Italie ou l’Irlande. Un certain état d’esprit doit naître chez nous, très élevé, très pur, très ardent, très mystique.
Nous nous lèverons pour défendre nos métiers et nos champs. Mais nous risquerons le principal dans une autre pensée. On offre sa vie par amour et par orgueil, jamais par intérêt.
Il nous est égal de passer pour des fous, des criminels auprès des vieux hommes lâches qui sous couvert de l’Etat organisent d’inutiles massacres de jeunes gens.
Notre devoir est de préparer le peuple breton aux événements inévitables. Il n’y ni une année, ni une heure à perdre, si nous ne voulons pas qu’un jour se renouvelle la honte de 1914.
Les Irlandais, de 1916 à 1922, ont payé leur indépendance d’un millier de morts. Les Bretons ont payé avec deux cent quarante mille cadavres le renouvellement de leur bail de servitude.
Qui sont les fous ? Qui sont les sages ?
Les encenseurs de poilus inconnus se voileront la face. Ils sont dans le sang jusqu’aux genoux, mais ce sont nos traits de plume qui leur retournent le cœur.
Sachez ceci tartuffes : Nous au moins, nous sommes des volontaires. Nous disposons de ce qui nous appartient : notre liberté et notre peau. Aucune maréchaussée-aux-armées ne préside à notre mobilisation.
Nous savons, en écrivant ceci, que tout Breton de cœur est avec nous, résolu comme nous. Le peuple breton nous est chaque jour reconnaissant de l’estime que nous lui portons, en exprimant comme siennes des pensées courageuses.
Nous ne cherchons pas à être suivis par tous. Les révolutions se font avec de petites troupes supérieurement préparées. Non pas avec la masse qui est lâche et aveugle. Nous ne nous adressons pas à elle, mais au peuple qui, lui, a une âme et une conscience.
Et le peuple breton nous suivra, parce que nous savons ce que nous voulons. On a assez dit aux Bretons que leur pays se mourrait et que c’était dommage. Ils le savent très bien, jusque dans la dernière chaumière. C’est un plan d’action qui les intéresse.
Un but idéal n’est jamais qu’un beau rêve. Le sérieux du mouvement breton réside uniquement dans les possibilités de réalisation qu’il offre. Nous, nous avons tout pesé, tout examiné, nous offrons une voie, le peuple le sent bien.
Les notions de droit et de justice ne sont que des clauses de style quand elles ne sont pas appuyées sur la force. Le peuple rit des « modérés » qui comptent sur la moralité des Etats pour obtenir justice.
Notre seul argument valable est la force. Si nous ne pouvons pas disposer de la force, nous comptons pour rien. Si, disposant de la force, nous assurons notre adversaire que quoiqu’il arrive nous ne tirerons jamais un coup de fusil, c’est comme si nous lui disions : ne cédez rien, nous ne courez aucun danger.
Seule une préparation visible et réelle à l’action de force peut donner un poids à la menace que nous représentons.
Seules, en fin de compte, les grenades et les balles ont fourni aux Irlandais l’Etat, c’est-à-dire le moyen de sauver leur langue et d’organiser la vie nationale.
Il ne s’agit pas pour nous de nous soulever demain, ou après-demain mais de savoir clairement où nous allons. De ne pas nous tromper nous-mêmes.
Il s’agit d’être prêts et d’inspirer confiance au peuple, parce qu’il nous sentira prêts. Et nous triompherons.
Nous triompherons, parce que nous serons toujours les plus forts en Bretagne, tant qu’il n’y aura pas au moins 3.300.000 Français installés sur notre sol à côté des 3.300.000 Bretons.
Nous triompherons parce que nous avons retrouvé le sens de la mission héroïque de notre race. »
Olier Mordrel, 1935