La multiplication des langues et des frontières retarde-t-elle en elle les germes de la guerre ?
Démolissons les idées fausses.
L’une des erreurs les plus répandues est de confondre l’idée de la paix de l’Europe avec celle de l’unification de l’Europe, comme si la première était la conséquence de la seconde. Il s’agit cependant de deux idées bien distinctes. L’idée de la paix en Europe ne laisse aucun européen indifférent.
Mais la paix en Europe ne se réalisera pas par l’unification de l’Europe, parce que la fusion de tous les peuples européens par la pratique d’une langue unique, par la possession d’une culture unique est impossible.
L’Europe ne marche pas vers l’unification
C’était une erreur de croire que l’Europe marche inéluctablement vers l’unification. Si dans le domaine matériel et scientifique, si dans la vie quotidienne on constate une certaine unification des moyens et des besoins, il en est tout autrement dans le domaine de la langue et de la culture.
Jamais sans doute l’Europe n’a été aussi peu unifiée linguistiquement. Remarquons en passant qu’elle l’était bien davantage avant notre ère où trois grandes langues, le latin, le celtique et le germanique, d’où sont sorties la plupart de nos langues modernes, semblent s’être partagés l’Europe centrale et occidentale. Aujourd’hui 39 langues sont parlées et écrites en Europe. Toutes sont cultivées et défendues avec passion. Faut-il faire mourir les petits langues, tel le letton, le lituanien, l’estonien, le danois et le breton ? Mais c’est là une tâche impossible. Ces langues qui hier encore, paraissaient vouées à la disparition, sont animées d’une vie nouvelle.
L’effort des pays impérialistes, tel la Russie, l’Allemagne, l’Angleterre, et la France s’est exercé avec acharnement contre elles, sans parvenir à les détruire. Presque toutes, elles sont maintenant langues officielles d’États nationaux et pratiquement indestructibles. L’Europe ne gagnerait donc rien à ce que les Bretons abandonnent leur langue nationale.
Les petites langues tuées le problème reste entier.
Même si toutes les petites langues disparaissaient, le problème de l’unification resterait insoluble. Comment réduire et détruire les grandes langues de civilisation tels l’allemand, le français, l’anglais ou l’italien, sans parler de langues plus secondaires, mais fort importantes comme l’espagnol, le polonais, le hongrois ou le tchèque. Jamais ces peuples n’accepteront de délaisser leur langue propre pour adopter la langue d’un autre peuple. Quant à faire régner une langue Internationale, espéranto ou ido, il faut n’avoir jamais étudié la vie des langues et les problèmes linguistiques pour penser qu’elle pourrait être adoptée par tous les peuples, de haut en bas de l’échelle sociale, ou même par un seul peuple.
Les grandes langues développent l’impérialisme.
Les grandes langues, qui sont toujours celles de grands États, portent avec elles l’impérialisme. Elles développent une idéologie de puissance et de domination cent fois plus dangereuses pour la paix de l’Europe que l’existence des petites langues. L’Histoire de la formation des grands États le démontre suffisamment. Ce sont les impérialismes de la Russie, de l’Angleterre, de l’Allemagne, de la France qui ont déchaîné la plus grande catastrophe des temps modernes : la guerre de 1914 à 1918 et ce sont les mêmes impérialismes qui préparent une nouvelle catastrophe pour les années prochaines
Les petits États pacifiques.
Considérons au contraire les petits États nationaux qui, au milieu de la folie des autres, ont été pacifiques. La Norvège, la Suède, le Danemark, la Suisse, la Hollande ont gardé la paix depuis plusieurs générations et ne se connaissent pas d’ennemis. Dans l’Europe troublée où nous vivons ce sont les vrais forces de la paix. Où trouve-t-on un esprit de collaboration internationale plus développé que dans les petites nations septentrionales ! Ce n’est certes, ni en France, ni en Allemagne, ni en Italie.
Concassons l’Europe.
Le seul salut pour l’Europe de 1933 est dans le concassement des grands États artificiels et impérialistes. Que la France, que l’Allemagne soient remplacés par dix Danemark, et ces deux pays qui empoisonnent l’Europe de leur querelle, seront plus facilement tenus en paix et en respect. Que l’Empire britannique soit réduit à la nation anglaise, à l’Angleterre et il ne sera plus dangereux.
Avec les morceaux faisons un tout.
Lorsque l’Europe aura été concassée et sera retournée aux nations naturelles, il sera possible non de l’unifier, mais de l’unir. Si l’idée des États Unis d’Europe s’impose jamais aux fous que sont les Européens, ce ne sera ni l’existence d’une Bretagne indépendante, d’une Irlande ou du Danemark, ni des 21 petits États européens de moins de 10 millions d’habitants qui seront des obstacles, mais c’est par eux que la fédération s’avérera possible. L’idée d’une Bretagne indépendante dans le domaine international, comme pour la sauvegarde de notre nationalité n’est donc pas un recul. C’est un progrès.
Fransez Debeauvais, 1933